Anthropologie politique :La notion de pouvoir
Janvier 2010
L’anthropologie politique est une discipline récente qui s’est développée réellement à partir des années 1920, mais qui tire son essence des préoccupations de la philosophie politique du XVIIIème siècle. En effet, cette discipline dont le projet est de fonder une science du politique, analyse la répartition et l’organisation du pouvoir et des phénomènes politiques qui permettent de dégager une perspective commune au delà de la diversité culturelle.
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Plusieurs philosophes sont à l’origine des préoccupations fondamentales de l’analyse et de la compréhension des phénomènes de pouvoirs politiques. Ainsi, Montesquieu, La Boétie, Rousseau ou encore F. Engels et K. Marx se sont penchés sur les rapports que les dominants avait à l’égard des dominés. Cette relation de domination apparaît comme un phénomène inhérent au pouvoir politique institutionnel. Cependant, avec les premiers anthropologues, c’est une nouvelle forme de pouvoir politique qui est valorisée. Par exemple, ces études révèlent l’existence de rapport de pouvoir en dehors des relations institutionnalisées, inhérent à l’inconscient des collectivités, comme le sacré et les relations d’échange de don, qui participent au pouvoir politique.
La notion du pouvoir est l’un des sujets de prédilection de l’anthropologie politique. L’Anthropologie politique est, à cet égard, l’étude de l’organisation et des structures politiques (au sens aristotélicien) au travers de leur diversité. Il s’agit dès lors de distinguer les mécanismes du pouvoir ainsi que son exercice, l’organisation symbolique, consciente ou inconsciente.
D’où le problème : comment en Anthropologie politique, selon les différentes enquêtes ethnographiques, le pouvoir peut-il se manifester en dehors du cadre institutionnel?
C’est pourquoi il est important de revenir sur les formes de pouvoirs en politique, pour comprendre par la suite l’approche minimaliste puis maximaliste.
I- Les différentes formes du pouvoir, une réflexion qui cristallise l’intérêt des anthropologues politistes
Tout d’abord, il est important de distinguer les différentes composantes qui organisent le pouvoir : centralisation, concentration des pouvoirs, recrutement de gouvernants, le cadre du contrat social instruit par la loi et les sanctions lors des dérives individuelles.
Centralisation ou décentralisation de l’autorité qui peut être décomposée en différents segments (lignage, villages). Chez les Lobi par exemple, il n’y a pas de pouvoir central, mais chaque village constitue une entité centralisée. Cette autorité peut même s’étendre au-delà du cadre territorial dans le cadre d’ethnies dispersées comme par exemple chez les L’Alemany du Fouta Djalon qui possède une autorité morale sur tous les Peuls.
Montesquieu relevait dans l’Esprit des Lois, la concentration ou dispersion du pouvoir. En effet, cette notion de séparation ou non des trois pouvoirs – l’exécutif, du législatif, du judiciaire – engendre une typologie de régime. Ainsi, plus les pouvoirs sont concentrés, plus le régime est tyrannique. Ainsi, dans les sociétés traditionnelles le chef dispose à la fois du pouvoir exécutif et juridiciaire. Chez les Nuer, c’est « l’homme à peau de Léopard » qui est chargé de résoudre les conflits.
La domination du pouvoir peut être légitimée par la transmission du pouvoir héréditaire, élection, dévolution, désignation. L. de Heusch explique dans son ouvrage Du pouvoir. Anthropologie politique des sociétés d’Afrique centrale, que dans la zone tetela-hamba au Congo, société à lignages patrilinéaires, pour devenir chef de lignage les aspirants doivent faire valoir le bien-fondé de leurs prétentions, en pratiquant des dilapidations festives et des distributions de cadeaux que l’auteur n’hésite pas à mettre dans la même catégorie que le potlatch.
Les lois qui régissent n’importe quel système politique ont pour fonction d’assurer la stabilité de la société en question. Par contre, elle peut aussi créer des fossés entre les différentes couches de ladite société, résultant en un sentiment de coercition, de contrainte. Donc le pouvoir contient un paradoxe bien évident car « il apparaît, à la fois, comme nécessité et comme danger »; c’est cette ambigüité concernant la notion de pouvoir que G. Balandier appelle une dissymétrie dans les rapports sociaux. Autrement dit, l’élite au pouvoir se reproduit dans les hautes classes.
Chaque système politique, dans la mesure où il est légitime et que la loi est connue de tous, comporte un certain nombre de contraintes afin de préserver un équilibre en place ; il peut s’agir de violence légitime au sein de l’Etat, de violence corporelle ou morale dans les sociétés traditionnelles.
II- L’émergence de l’Etat ou l’institutionnalisation du pouvoir
L’approche minimaliste considère qu’une gestion primitive d’une société ne serait pas une forme de gouvernement. Il existe trois critères selon les politologues qui caractérisent un Etat et permettent de délimiter le champs politique : un territoire délimité par des frontière reconnues, le consentement des populations qui y vivent et enfin l’existence de structures organiques fondant l’unité politique. Il apparaît évident que le flou sémantique quant aux critères caractérisant un Etat, présente ses limites pour les anthropologues. Ainsi, pour Balandier il est possible de confondre l’Etat avec un groupe local (chefferie).
Pour finir, selon M. Weber l’Etat est le seul instrument de domination, qui dispose d’un appareil coercitif pour orienter toute action sociale, et est lié aux sociétés modernes et à la rationalisation. L’Etat dispose du monopole légitime de la violence. En revanche, P. Clastres qui a étudié à partir des sociétés amérindiennes les groupes qui contrôlent le pouvoir s’oppose à cette conception réductrice du pouvoir. Dans toutes les sociétés, il y a du politique ; cet exercice du politique n’est pas automatiquement lié à l’exercice de la violence légitime et à la coercition.
III- L’existence d’un pouvoir comme un « fait social total »
Le pouvoir politique n’est pas nécessairement institutionnalisé. Il peut s’exprimer à travers d’autres formes inhérentes à l’inconscient collectif. « Il n’y a pas de société sans gouvernement », c’est par cette phrase prononcée par L. de Bonald que l’on peut résumer la pensée des maximalistes. Autrement dit, toutes les structures participant à la direction d’une société concourent au politique. A cet égard, il semble important d’appréhender les phénomènes de la Kula et du Potlatch comme expression du politique puis de comprendre l’imbrication du sacré dans le cadre du pouvoir politique pour illustrer nos propos.
D’une part, le phénomène d’échanges de biens précieux, lors du Potlatch et de la Kula, révélé par F. Boas et B. Malinowski mettent en évidence l’imbrication économique et politique dans les sociétés – du nord au sud : les Tlingit, les Tsimshian, les Haida, les Bella Cola, les Kwakiutl, les Nootka, les Salish – dans un fait social total selon M. Mauss. Cette pratique ritualisée et cérémonielle de don, ne vise pas à donner pour donner mais à donner pour dominer et/ou recevoir en retour. Ce n’est donc pas un don de générosité, mais un don de réciprocité, qui en outre comporte souvent un aspect de défi. Il enclenche ou perpétue la dialectique du don et du contre-don. Le potlatch et la kula ne jouent pas sur des biens de subsistance mais sur les biens précieux. Ils constituent des stratégies sociales, plus ou moins paroxystiques, qui visent à fabriquer du prestige, et donc de la différenciation sociale.
D’autre part, grâce sa capacité à transcender l’Homme, et donc l’autorité du chef et de l’Etat, le sacré a inévitablement entretenu des tantôts conflictuels des tantôts pacifistes au pouvoir politique. Ainsi, Frazer s’est intéressé au pouvoir de la royauté sacrée dans le rameau d’or. Dans les sociétés à pouvoir centralisé et quand le sacré est la source du pouvoir du roi, on assiste à toutes une série de rituels pour l’intronisation d’un nouveau roi pour marquer son pouvoir et réorganiser le politique. Ainsi, chez les Nkumu, les détenteurs du pouvoir sont investi du pouvoir sacré, l’ekopo.
De plus, Selon Aronoff , « Le religieux et le politique sont des domaines liés depuis le début de l’humanité de ses cultures et de ses civilisations ». Dans les sociétés acéphales il n’existe pas de frontières nettes entre les sphères politiques, économique, religieuse, parenté. Il s’agit, en effet, d’un ensemble composant le social. Ainsi, le religieux fait son apparition dans le politique également dans des sociétés à Etat et/ou Laïque (Irlande où le conflit religieux est en corrélation avec l’ordre politique). Il n’est pas inutile de rappeler qu’un gouvernement peut dériver directement du religieux (théocratie), que le sacré peut devenir des outils pour légitimer le pouvoir du souverain ou du groupe dominant. De même, la religion peut également fournir des structures sous jacente manipulable par les détenteurs du pouvoir.
Enfin, Evans-Pritchard développe une analyse des relations et des institutions au sein de peuple, en apparence, dépourvu de gouvernement tout en répondant aux exigences comparatistes et théoriques. Parallèlement il propose une ébauche typologique et contribue à donner un véritable statut scientifique. Par ailleurs E.E. Evans-Pritchard développe son analyse en mettant en relation le politique avec l’économique, le culturel et le religieux ; intérêt fondamental dans des sociétés où tout est étroitement imbriqué (démarche fonctionnaliste).
En conclusion, l’histoire de l’anthropologie tant à démontrer que la politique est le synonyme et le frère jumeau du pouvoir. Le pouvoir politique n’est pas seulement un contrat social mais il est aussi un rapport de force consistant en un équilibre fragile. Les concepts de légitimité, de pouvoir et de coercition restent des notions incontournables en anthropologie politique mais celui de pouvoir a préséance sur les autres. Peu importe la société, sa stabilité est basée sur un équilibre approximatif et le pouvoir doit jouer le rôle de stabilisateur pour protéger la société contre ses propres défaillances soit par la force, soit par des ententes tout en restant fidèle à ses principes vitaux assurant sa survie.
Ce domaine nécessaire au politologue permet de décentrer le regard au-delà des conceptions classiques concernant cette notion. Il est intéressant de finir par l’utilisation de la démarche épistémologique, dans les sciences politiques, relative à des aspirations ethnographiques en citant un article paru dans la Revue Française de science politique. En effet, l’auteur, Olivier IHL revient sur les formes et usages d’une technique de vote : l’urne électorale. Ainsi, il définit la scénographie relative au vote et la mise en scène qui s’organise autour de l’urne électorale ainsi que la sacralisation de cet outil cher à l’exercice de la démocratie. Ce qui n’est pas sans rappeler G. Balandier qui dans son ouvrage anthropologie politique revient sur la sacralité du politique en énonçant cette phrase : « le rapport du pouvoir à la société est essentiellement une relation chargée de sacralité »
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